Maurice Regnaut

 

                                     Un poème inédit.

 

Cette gare où prendre un aller simple, 

oui,

cette gare-là, c'est elle,

un jour,

celle où je partirai,

moi,

celle où toi, sur le quai, tu resteras seule,

un jour,

seule, 

toi,

je sais,

mais je sais aussi que pour toi,

oui,

pour toi seule,

à chaque fois, toi, même les moments les plus oubliés de notre

vie ensemble,

à chaque  fois  que  soudain,  sans  même  comprendre  en fait

pourquoi, tu te retrouveras, toi, à les revivre,

à chaque  fois  que  sur  l'eau,  là-bas,  tu  regarderas la flèche

avancer lentement d'une péniche à ras pleine,

à  chaque   fois   que   tu   regarderas   s'écrouler,  du haut des

rochers, l'étincelant jackpot d'une cascade,

à chaque fois  que tu regarderas, toute fraîchement coupée, au

grand soleil sécher la pluie,

à chaque fois,

je sais,

à chaque fois je me survivrai,

je me survivrai pour toi et par toi,

par  ce   regard   tien  qui   voyait  si  loin  qu'il  me  fallait  toujours,

moi, pour mieux voir, t'appeler à l'aide,

par  cette  écoute  aussi,  moi  n'entendant  rien,  rien,  non,   qu'un

silence, et ne demandant alors qu'à te croire,

par  cette  voix  si  jeune  et  si  chantante  en  moi,  tant  elle est au

fond toujours chant commun,

par ce regard, par cette écoute et par cette voix,

je sais que je me survivrai,

par ce rire et son carillon d'éternelle enfance,

je me survivrai,

par tout ce que tu es,

je me survivrai,

par tout ce que tu seras

je  me  survivrai  en  tous  ces  moments  où tu seras même à nous

imaginer ensemble,

à  nous  imaginer,  oui,  faire  ensemble  une  pleine nuit de lumière

absolument pure,

peindre  ensemble   en   plus  vert  que  vert  prés  et  forêts,   plus

blanc que blanc la cime des monts, le ciel plus bleu que bleu,

à   nous  imaginer  étendre  ensemble   une  mer   partout  parfaite,

une mer partout plus que transparente,

en   tous   ces   moments     nous  ne  serons  plus  qu'ensemble

ingénu hommage à la beauté du monde,

   nous   irons   visser   là-haut,  à   midi  juste,  un  grand  soleil

ensemble aussi vrai qu'en elle-même est la vie,

en  tous  ces  moments  pour  toi  et  par  toi    nous serons ainsi,

   toi et moi, encore et toujours ensemble,       

                  je me survivrai,

moi,

je sais que je me survivrai,

mais sache,

oui,

sache,

après moi,

après toi,

ce  ne  sera  pas  peut-être,  ici,  à  tout  jamais   le  seul  silence,

après nous,

non,

un autre couple,

un autre couple absolument aimant,

un  autre  couple  un  jour  fera  de  nous  ici  connaissance,

et nous nous survivrons alors,

nous nous survivrons,

ce jour-là, ici,

nous nous survivrons,

toi et moi ensemble,

nous nous survivrons,

nous.

 

Maurice Regnaut ©