Isabelle Guigou

 

 

Isabelle Guigou est née à Sète. Elle vit aujourd’hui dans le Jura et enseigne les Lettres dans un collège. Isabelle Guigou a publié dans de nombreuses revues

dont Le Mâche-Laurier, Décharge, Contre-Allées, Triages, Ici é Là… Elle est aussi l’auteur de plusieurs livres. Elle nous offre ces poèmes inédits qui sont

extraits d’un ensemble intitulé Visages épars.

 

Quelques références bibliographiques :

Lambeaux des jours. 2001. La Bartavelle

Jeux. 2002. Gros Textes

Roumanie. 2003. Rétroviseur.

L’Arbre enveloppé.2003. Encres Vives.

 

 

 

Un choix de poèmes extrait de Visages épars

 

Vos visages appliqués

Vos jeans

Vos babouches

Le henné sur vos mains

Vos lèvres décidées de femmes à venir

 

Libres

 

Et c’est un peu plus de lumière.

 

 

                *

 

 

Le printemps revient

Comme revient la vague

Dépose sur la rive

L’écume blanche de la mémoire

 

Il lit encore en creux dans le sable

L’empreinte de son corps

Son corps à elle

 

S’y recueille un parfum d’amour, d’algues sèches grouillantes d’insectes

 

Le temps passant le blesse

Le guérit

Le blesse.

 

 

*

 

 

 

La gourde est vide

Plus aucun mot ne s’en écoule

Vide aussi son corps privé de l’autre corps

 

Et elle s’étonne des feuilles qui foisonnent encore sur les branches du saule au tronc creux

S’étonne que la vie se niche ainsi dans l’infime surface

 

Cependant elle

S’efforce

De leur ressembler.

 

 

*

 

 

Nos voix, nos souffles ne sont de taille à supporter le poids d’un seul oiseau

Et se brisent comme branches mortes

 

Plus solides les mots tu espères, les arc-boutes contre la chair.

 

Ces nouvelles cathédrales, ta dernière foi.

 

 

*

 

 

Sur le mur, l’image se décolle. On devine encore un visage, dans la grisaille des cheveux,

dans le trait d’une bouche. Ni homme, ni femme. L’humain fragile qu’emporte un peu de

pluie et de soleil. Bientôt chair racornie, roulée sur le trottoir avec les feuilles mortes.

Rassure-moi. Dis moi que nous aurons resplendi de quelques rires, que nous aurons éclaté de joie la platitude, que nous nous serons gorgé du monde.

 

 

*

 

 

Le noyer a été abattu ; il étend son corps massif en travers du chemin qui descend vers la grande route ; l’arbre semble marquer la rupture avec le lieu là-haut : vignes, garrigue folle, sentiers bordés de sable ocre et d’aiguilles de pins, parfums de thym.

Le chemin est barré de l’enfance.

 

Elle ne fera plus l’herbe pour les lapins, les tiges creuses des cardelles ne craqueront plus sous ses doigts. Son épaule est nue du gros sac de jute qu’elle ne portera plus, sa main vide de la serpette abandonnée depuis longtemps à la rosée de rouille

Les voix ne retentissent plus qui la rappelaient à la nuit tombée vers le havre.

 

 

Elle descend lentement le chemin raviné, c’est comme un courant doux qui l’emporte

Rien ne presse

La nuit plus longtemps dure.

 

 

Isabelle Guigou